Le père Petuel et la mère Tume – 2013

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Comédie dada 2011.

Au fond, trois tables d’opération inclinées. Deux sont occupées par des soldats ou plutôt ce qu’il en reste. Pour le premier : la tête, la main droite, le bras gauche. Le second : La tête, le torse, la jambe gauche. Ils sont tout de même casqués. Les membres restants gigotent. En avant scène, le bureau du Préposé à la Machine à viande, Boucher et devant lui le père Pétuel (dans son fauteuil roulant) et la mère Tume.

BOUCHER : Je vois que vous avez de quoi prendre des notes ! Très bien. Vous avez cru me prendre sur le vif mais vous êtes tombé sur le mauvais histrion ! Cette usine c’est mon gamin. Depuis les nouvelles lois à propos de la surpopulation, nous sommes régulés, je ne suis plus assez livré en cadavre mais nous résistons tant bien que mal. Assoyez-vous là pour la petite démonstration. (Sonnerie de livraison. Quelques membres tombent sur le carré de livraison) Le soldat mort ou ce qu’il en reste est retiré du champ de bataille, il arrive ici. Mon travail consiste à réceptionner le cadavre, inventorier les membres dont je dispose puis répartir le tout sur les soldats entamés ici (il désigne les trois tables d’opération). Il s’agit d’assembler les morceaux les uns aux autres, afin de recréer une… harmonie. Autant que possible… Je vous présente Bastien Delanche, 3ème passage ici, un garçon sympathique qui a explosé sur une mine dès le départ, si bien que je peux dire aujourd’hui qu’il n’a plus aucune pièce d’origine. (Il recompose entièrement Bastien Delanche avec plusieurs morceaux issus de différents cadavres) Une fois notre homme recomposé, on appose une marque de passage (applique un troisième tampon sur le front de Bastien Delanche), ainsi qu’une petite fantaisie (place une petite pièce de dentelle sur le casque). Un petit coup de propre et l’ajout indispensable de l’indémodable mitrailleuse et nous voilà à nouveau prêt à partir pour les tranchées ! Au début ils sont un peu groggy… (Après avoir reçu un grand coup sur l’épaule, le soldat se détache de sa table et part au combat brinquebalant. Boucher s’approche de la dernière table contenant un monstre) Nous sommes le seul centre avec une branche expérimentale. Nous sommes aujourd’hui les géniteurs de célèbres brutes guerrières qui ont essuyé les plâtres afin de m’inspirer ma dernière création, Dyorc. Je ne peux décemment vous en causer sans emphase mais appréhendez donc l’engin, mon génie parle de lui-même. Dyorc sera bientôt en route pour le champ de bataille et fera des ravages.

TUME : Il a plusieurs jambes ?

BOUCHER : Et quelques options supplémentaires. (Dyorc s’agite, révélant ses options. Il fait du café, jukebox et des bulles)

PETUEL : Un virtuose ! Et ces appendices derrière la tête, sous le casque par exemple ?

BOUCHER : N’y touchez pas. Ce sont des sexes. On en met plusieurs ça renforce leur côté primaire. Ils sont plus féroces sur le champ de bataille. Le seul problème c’est qu’ils durent moins longtemps. A la tombée de la nuit ils deviennent ingérables, ils se caressent le crâne. C’est à ce moment là que les attaques sont le plus fréquentes. Incapables de se défendre, ils se tiennent les mains en l’air sous les balles ennemies et espèrent souiller leurs casques avant de venir retrouver une énième âme ici.

TUME : C’est merveilleux ce que vous faites pour la patrie.

PETUEL (s’imposant promptement) : Monsieur ?

BOUCHER : Boucher.

PETUEL : Vous étiez donc prédestiné à la chair. Monsieur Boucher, il me vient à l’esprit une idée absolument folle dont je voudrais vous entretenir. (Il approche son fauteuil roulant de Boucher et se redresse dans une position pathétique et très inconfortable) Qu’est-ce que vous voyez ?

BOUCHER (après une longue réflexion) : Vous devenez dangereusement écarlate.

PETUEL : Non. Imaginez-moi mort, avec un casque. (Pétuel se jette par terre) On vient de me livrer. Je suis soldat. Inventoriez-moi.

TUME : Chéri, tu te traines au sol là… ça fait un peu désordre…

BOUCHER : Je ne suis pas sûr de voir où vous voulez en venir ?

PETUEL : Inventoriez-moi nom d’une pipe !

BOUCHER : Mais enfin vous n’êtes pas mort ! Et j’ai l’impression que ça vous excite.

TUME (aigre) : Certainement pas.

BOUCHER (essayant d’y mettre le plus de bonne volonté possible) : Et bien et bien…  (il inspecte le corps de Pétuel) en bon professionnel je vais me montrer honnête : la partie de vous qui m’intéresserait le plus c’est la ferraille ! Si vous voyez ce que je veux dire… (désignant le fauteuil roulant) Je pourrais monter DYORC sur des roulettes ! Le reste c’est juste bon à boucher les trous.

PETUEL : Je vous propose un marché. Vous voulez mes roulettes ?

BOUCHER : Oui.

PETUEL : Je vous donne mes quatre roulettes en échange de deux de vos jambes.

BOUCHER : Comment ça ?

PETUEL : Vous prenez mes quatre roulettes, je passe dans votre machine, vous me sortez deux belles jambes de votre stock et vous me les collez là : je repars debout, Dyorc en roulant et tout le monde est content.

BOUCHER: Impossible.

PETUEL : Tut tu tut.

BOUCHER : Les jambes que je reçois, ce sont des jambes qui ont fait plusieurs générations dans les tranchées.

PETUEL : Je ne serai pas regardant s’il y a quelques cavités.

BOUCHER : Vous ne comprenez pas. Ces jambes, elles se nourrissent de la guerre depuis trop d’années, elles vous feraient aller automatiquement sur le champ de bataille.

PETUEL (Un temps. Pétuel est en pleine réflexion, très excité) : Et si je vous amenai des jambes lambda ? Des gambettes qui n’ont rien vu, rien connu. Des guiboles pacifiques, du « bio » en quelque sorte, est-ce que ce serait possible ?

BOUCHER : Faut voir…

PETUEL : Tranchez ma femme.

TUME : Il plaisante.

PETUEL : Tranchez ma femme !